intervenants : Clémence CHAUDIN (FSU-SNUipp) et Sébastien VILLE (SNES-FSU)
La FSU rappelle son attachement viscéral à l’établissement public AEFE, garant des missions de service public d’éducation à l’étranger. Pendant la crise covid, il a tenu, il a fait la preuve (si besoin en était) de son utilité pour l’ensemble de l’enseignement français à l’étranger, les personnels ont assuré leurs missions dans des conditions souvent extrêmement difficiles (notamment en matière de transports) : tout cela, il ne faut pas l’oublier, et y compris dans les discussions sur les sujets budgétaires et financiers.
A cet égard, les syndicats de la FSU, organisation majoritaire à l’AEFE (56% des voix au CSA lors des élections professionnelles de 2018) soulèvent 3 problèmes :
- l’insuffisance de la dotation de l’Etat,
- l’affaiblissement structurel et financier de l’AEFE par cap 2030,
- l’oubli des personnels.
1) 1er pb : la dotation de l’Etat est insuffisante.
Ce n’est pas nouveau : la dotation de l’Etat a toujours été en deçà des besoins, l’Agence a été maltraitée budgétairement, la FSU a toujours dénoncé cet état de fait.
Cela avait été accentué à l’été 2017 : les annulations de crédits (-33M€) ont entraîné un plan d’économie dont nous subissons encore les conséquences, comportant notamment la suppression de 10% des postes de détachés (expatriés, résidents).
Depuis juin 2022, l’application du nouveau décret régissant les détachés a un coût – essentiellement celui de la prise en charge de la mobilité. Ce coût n’est que partiellement compensé. En année pleine il est de 17 M€. Or la subvention de l’Etat pour charge de service public (programme 185) n’a augmenté “que” de 8 M€. La compensation du coût de cette réforme statutaire n‘est donc pas assurée, c’est un trompe l’oeil !
De même, les évolutions du point d’indice* de la FP (modestes…) ne sont pas compensées (* +3.5% en 2022, + 1.5% en 2023, + 5 points au 1er janvier 24).
Tout ceci affaiblit la trésorerie de l’AEFE.
Enfin, suite au plan d’austérité décidé par Bercy en février, une ponction de 3 millions est annoncés sur le programme 185. Ces annulations de crédits seront, selon les services de l’Agence, peut-être en partie absorbées si le taux de change est favorable. Pour autant, c’est l’arbre qui cache la forêt. Plus on dépend des ressources propres, et moins on est indépendant. Le ratio dotation de l’Etat -recettes propres (frais de scolarité) diminue! Il n’y a plus de marge, en témoignent les taux de réalisation très élevés, proches des 100%, présentés au CA (il s’agit des dépenses réalisées par rapport à ce qui était budgété).
Le même affaiblissement se constate pour le programme 151. La hausse de 14.8 M€ doit “permettre aux familles de faire face à l’accroissement des frais de scolarité en raison de l’inflation élevée ». Or c’est une spirale sans fin, une course aux frais notamment de 1ère inscription -ex au Chili ou les DPI avoisinent les montants de scolarité annuels ! Tout cela appelle un cadrage.
Globalement, si cette hausse peut paraître répondre aux besoins, il n’en sera rien, compte tenu notamment des besoins croissants en la matière – liés aussi à Cap 2030 mais surtout à l’inflation qui entraîne inévitablement des augmentations de frais de scolarité car elle élève les coûts de fonctionnement. Preuve en a été aussi dès 2023 du dégel de la réserve budgétaire.
A cela s’ajoute la question, devenue maintenant historique, de la part patronale des pensions civiles des détachés (CAS -compte d’affectation spéciale- pension) : il est à la charge financière de l’AEFE depuis 2009, alors qu’il n’est pas à la charge des établissements partenaires ou MLF (c’est le MEN qui paie quand les collègues sont retraitables). Cette inéquité pèse et affaiblit l’opérateur public.
Comme si tous ces handicaps ne suffisaient pas, l’AEFE est privée de l’accès à l’emprunt immobilier. Une possibilité temporaire a bien été ouverte, mais les besoins, eux, ne sont pas temporaires : il y a nécessité de repenser le bâti scolaire, notamment face aux impératifs climatiques ; l’immobilier est aussi un élément d’attractivité. L’opérateur public doit pouvoir emprunter : il ne peut pas entretenir, les procédures sont longues, coûteuses, les prix des matériaux flambent. Pendant ce temps, des établissements privés flambant neufs sortent de terre. Ce point doit trouver solution et surtout se pérenniser.
2) De cette situation d’insuffisance de la dotation, de cette dépendance vis-à-vis de ses ressources propres, il résulte un affaiblissement de l’Agence… qui est accentué par la mise en place de cap 2030. C’est le 2e problème.
La commande présidentielle cap 2030, visant à atteindre 600 000 élèves en 2030 (le double de 2017) constitue l’alpha et l’oméga… mais n’est pas financée. Donc l’expansion pilotée par l’AEFE se fait sans moyen. Plus le réseau s’étend, et plus il faut des moyens. Un effet ciseau est prévisible : plus de besoins face à une insuffisance des moyens.
C’est d’autant plus vrai que l’Agence consacre une part croissante de ses ressources et de ses services au développement du réseau, et ce au détriment des EGD et conventionnés :
- ses IPR n’ont plus le temps de se dédier au suivi et conseils des enseignants, ils sont accaparés par les homologations
- ses formateurs et sa formation continue sont, au sein des Instituts régionaux de formation (IRF), tournés de plus en plus vers les établissements partenaires où les besoins en formation sont les plus vifs, au détriment de la formation continue qui pourtant faisait l’honneur de l’AEFE
- ses services centraux, au sein de la DDAR, sont eux aussi focalisés sur les partenaires.
Donc Cap 2030 débouche sur une aporie majeure :
- l’AEFE est en passe de devenir un prestataire et non plus pilote, elle se met au service du dvpt de sa propre concurrence ! Des groupes privés comme odyssey, concordia, holged… enflent, parfois au mépris même des règles et des principes de l’Agence comme à Sharjah où un établissement primaire conventionne avec un groupe privé à but lucratif, ce qui contrevient au guide du conventionnement.
- A l’inverse, les établissements partenaires profitent du pilotage de l’opérateur public, de ses moyens, de son expertise quasi gratuite : formation, IPR, EF1D et 2D, expertise pour monter établissement),rien en retour. Ce système ne peut pas fonctionner à terme sauf à faire disparaître l’opérateur public. Ces partenaires ne donnent ni PRR ni n’assurent de PFC, et leur participation à la formation continue (2% en théorie) est très inégale en réalité.
3) Le tableau est pour le moins sombre, et il l’est tout autant pour les personnels : c’est simple, c’est le 3e problème, budgétairement rien n’est fait pour les personnels.
L’optimisme de l’Agence lors des échanges concernant le budget au CA du 11 mars, notamment avec l’absorption des 3 millions, n’est absolument pas partagé par la FSU. Au-delà du coût du décret pas complètement financé pour les voyages, on l’a déjà dit, à chaque fois ne prend pas en compte la situation des personnels, qu’il s’agisse des personnels détachés ou personnels de droit local. Cela doit être dit en ce jour de grève de la Fonction publique où les personnels revendiquent une revalorisation salariale à la hauteur de la situation.
- Les détachés sont toujours en attente d’une évolution concernant les indemnités statutaires non perçues, qui leur reviennent pourtant de droit : prime Grenelle jusqu’au 9ème échelon, indemnités CPE, Psy-EN. Ils attendent également depuis plusieurs années une réforme des prestations familiales, qui est unanimement demandée par les organisations syndicales, avait donné lieu à un premier groupe de travail mais a été bloquée par la directrice générale. La réforme de l’ISVL-ICCVL, elle, est en cours : elle constitue un scandale car elle se fait à budget constant, personne n’y gagne sensiblement et bcp de pays perdent bcp (40 zones baissent). A l’heure actuelle la réforme ne règle aucun pb, c’est un détricotage (des 7 critères dont loyer et transport) au profit du seul indice Mercer, ce qui la réduirait à un simple décalage de coût de la vie. Ce n’est pas une réforme adaptée à la spécificité des détachés de l’AEFE, qui ne sont pas des expatriés du privé ni des expatriés du MEAE.
- Les personnels de droit local subissent encore plus fort le phénomène d’inflation. Dans nombre d’EGD, les négociations sont refusées, les personnels sont laissés en souffrance. Ce n’est pas une bonne gestion RH, et c’est à contre-courant du MEAE où on compense coût-vie pour ADL.
Plus largement il y a un pb de postes : le réseau s’appauvrit en titulaires. Les IRF ne règleront pas ce problème. Une action de formation n’aboutit pas à un personnel formé comme un titulaire, il ne faut pas s’illusionner ! (COM présenté au CA le 11 mars 2024)
L’AEFE a bien créé des postes, mais en centrale surtout. Des zones entières sont sacrifiées, les réseaux historiques comme hier Madagascar, aujourd’hui la zone Sahel, bientôt le Maroc sont sacrifiés, les choix géographiques ne sont pas bons d’autant que la ponction 2024 de 3M€ implique des risques de fermetures (peut-être une 50aine si on applique le ratio de la ponction de 2017).
Pour la FSU un plan de “résidentialisation” s’impose : les postes de détachés doivent être créés, pour les titulaires non détachés qui sont actuellement en disponibilité (limitée à 5 ans depuis 2019) et attirer des candidats.
L’enjeu de l’attractivité s’accentue, et ce dans toutes les zones. L’AEFE est confrontée à un tournant historique, de ce point de vue : ces deux ou trois dernières décennies, les candidats ne manquaient pas. Or en 2022 et à nouveau en 2023, de nombreux postes de détachés enseignants n’ont pas été pourvus, près de 230 !Cela se confirme pour 2024 : le vivier de candidats à des postes d’enseignants formateurs (ex expatriés) se réduit, plusieurs postes n’ont non pourvus et sont en cours de republication.
Sans prise en compte des personnels, de nos demandes (ISVL, AF), on va dans le mur. L’opérateur public n’anticipe absolument pas cela et n’apporte aucune réponse, à l’image du dernier CA de l’Agence !
Un autre élément affecte depuis peu l’attractivité : la fiscalité. Des conventions fiscales entre la France et d’autres pays où des établissements français sont implantés sont remises en cause, dernièrement en Grèce et en Tunisie. Dans ces deux cas, ce sont les personnels qui sont en première ligne et qui doivent régulariser leur situation, en attendant que de nouveaux accords soient mis en place. Des crispations analogues surgissent aussi au Maroc, en zone Sahel (Burkina).
Ce problème ne relève pas de l’AEFE mais celle-ci s’en désintéresse. Il en va de même pour les questions de visa (pour soi-même ou le conjoint), alors qu’elles sont essentielles pour les personnels et donc pour l’attractivité du réseau.
4) Au final, pour la FSU, l’AEFE souffre du choix de mauvaises priorités financières. Pour la FSU, trois pistes, au delà de penser aux personnels du réseau :
Il faut mettre un terme au gaspillage de l’argent de l’Etat! Stopper la distribution de millions d’euros sans contrepartie. L’exemple de la MLF est flagrant. Cette association d’utilité publique se retrouve en difficulté financière, notamment suite à la détérioration de la situation au Liban. Des aides publiques ont été accordées aux familles, ce que nous pouvons saluer. Des aides ont également été accordées aux établissements (annulation de la PRR pour le Liban et l’Ethiopie) afin que la MLF puisse les maintenir. Les sommes versées appellent selon nous une contrepartie et une transparence totale de l’utilisation de l’argent public. Force est de constater que ce n’est pas le cas, puisque les contributions décidées par l’accord cadre AEFE-MLF ne sont pas versées et que la MLF a unilatéralement décidé par ailleurs de déconventionner deux établissements en Espagne à la rentrée 2024. Quant au fonctionnement RH, force est de constater que la MLF n’applique pas le minimum syndical en matière de dialogue social, de respect des contrats, mettant en difficulté ses personnels parfois jetés comme des kleenex. Les personnels travaillant dans ces établissements ont droit au respect et à la considération, surtout quand cet opérateur se réfère à des valeurs humanistes.
Plus largement, ce n’est pas le rôle de l’aefe de financer des établissements à but lucratif. On voit un risque de bascule un système à but lucratif : pas d’argent public pour cela. La priorité doit revenir à l’opérateur public, sinon le système va s’écrouler. On attend plus de pilotage, de contrôle, de priorisation au profit de l’opérateur public. L’aefe doit avoir les moyens de faire fonctionner son réseau, sans être emmenée sur de mauvaises voies.
En 3e lieu, la politique d’homologation doit être revue. A marche forcée, le MEN multiplie les homologations afin d’atteindre l’objectif fixé par le Président de la République. On l’a dit, les Inspectrices et Inspecteurs sont détournés de leur mission première pour se charger des procédures. Or les critères de cette homologation ont été assouplis. La FSU estime que ce processus est mortifère pour le réseau d’enseignement français à l’étranger puisqu’il entraîne une concurrence entre les différents types d’établissements et qu’il contredit le principe fondamental des missions de service public d’éducation à l’étranger. L’excellence et l’uniformité du réseau, reconnues par toutes et tous et au coeur de notre diplomatie d’influence, sont menacées. La FSU revendique donc un durcissement des critères d’homologation avec notamment le respect des instances et l’introduction de critères RH, permettant ainsi que les droits des personnels soient protégés.
En conclusion, donner à l’AEFE les moyens d’exister et d’agir n’est pas seulement une question budgétaire, c’est une question de philosophie sur ce que doit être l’enseignement français à l’étranger. L’objectif cap 2030 ne masque même plus sa véritable visée qui est de faire exploser le nombre d’établissements partenaires, totalement privés, en un mot la concurrence de l’opérateur public ! On veut nous faire croire que l’objectif aura aussi un impact sur le réseau historique d’EGD et de conventionnés, mais qui peut honnêtement le croire: aucun moyen n’est octroyé, les suppressions de postes continuent ici et là, l’attractivité s’érode, et le bornage des détachements vient aggraver la situation. Aucune avancée sociale, tout est en jachère : avantage familial, indemnité spécifique de vie locale et ICCVL, indemnités statutaires. A part des abandons ou des reculs, l’Agence ne propose rien. Inutile de dire que les personnels ne l’entendent pas ainsi et qu’ils se mobilisent, y compris aujourd’hui, et n’hésiteront pas à le faire de nouveau à l’avenir pour obtenir des réponses de l’AEFE.